Interview: François Baget

Aujourd’hui nous avons le plaisir et l’honneur de poser quelques questions à l’illustre François Baget, apprenons à mieux le connaître ensemble :

Comment est né votre amour pour les livres ?

Tout a commencé dans mon enfance. Je suis né entre deux étagères de livres anciens. Mon père, médecin à Dole, n’était pas un bibliomane compulsif, mais collectionnait avec méthode et goût les livres dans des domaines variés. Ainsi j’ai vu non seulement grandir une bibliothèque, mais aussi l’élaboration d’une seconde (par manque de place !) qui avoisinait bien les dix mille titres. J’ai alors réalisé que le livre deviendrait pour moi un compagnon de vie. La présence des livres, de leurs découvertes, fut un émerveillement culturel et devint naturellement une passion. J’élaborai ainsi ma propre bibliothèque et naturellement après des études hasardeuses, un passage par l’enseignement, je décidai de créer une librairie. Il m’a semblé tout naturel de suivre cette voie, d’en faire un métier et surtout de pouvoir partager ma passion avec les collectionneurs, les bibliophiles, ou les amateurs de belles éditions…

Parlez-nous de vos activités professionnelles.

La librairie Heurtebise (en hommage à l’ange de Jean Cocteau) fut fondée en 1988. A cette époque l’internet n’existait pas encore et je décidai de pratiquer « la vente par correspondance », par l’envoi de catalogues papier riches et variés. Préalablement je constituai un premier stock de livres et me lançai dans l’aventure avec la complicité de mon père. L’achat de fichiers clients m’ont permis d’envoyer ces fameux catalogues à travers le monde, et ainsi de toucher de nombreux acquéreurs. Le catalogage de livres anciens est un exercice difficile mais tellement passionnant : il m’a permis, non seulement d’entrer dans le cœur même des livres, mais dans la perception intellectuelle que peut apporter la description physique d’un livre ancien. Plus tard le monde numérique m’ouvrit bien des portes et ma librairie prit un autre essor. J’ai raconté mes souvenirs de cette expérience dans un ouvrage La plume et le lutrin, (Librairie Diffusion Heurtebise, Dijon). Je parle de mon métier, de mes goûts littéraires, de ma façon de travailler, de mon approche de la bibliophilie, avec des réflexions sur le livre et son avenir… Je raconte aussi de savoureuses anecdotes et brosse un portrait plaisant de certains de mes clients.

Votre ouvrage « Glossaire des termes de bibliophilie » est vraiment très intéressant, comment est née l’idée ?

À une époque où l’on ne parle plus que de « dématérialisation » des contenus, et où le livre virtuel, celui que l’on peut lire sur une tablette, semble promis au plus bel avenir, l’idée de présenter un vocabulaire du livre ancien s’imposa. Déjà plusieurs amis collectionneurs me poussaient à présenter une étude sur ce sujet. De ce fait je proposai un descriptif complet du « livre ancien » et de son vocabulaire technique, qui permettra aux amateurs de s’y retrouver ; avec un chapitre sur le catalogage de sa bibliothèque, et des conseils pour commencer une collection de beaux livres… Je désirais expliciter le jargon qu’il faut maîtriser pour pouvoir parler la même langue que le libraire ou l’expert avec qui vous vous entretenez, ou pour lire et comprendre un catalogue. Cela me paraissait indispensable, d’où l’utilité d’un tel ouvrage. Fastidieux ? Nullement ! Le statut de bibliophile ne se gagne qu’à la force de fréquentations continuelles des vieux livres ou des ouvrages rares, édités sur papiers précieux et reliés avec des matériaux nobles. Le bibliophile Henri Béraldi disait : « On devient bibliophile sur le champ de bataille, au feu des achats, au contact des bibliophiles, des libraires et des livres ! »

Au cours de votre carrière, quels sont les livres qui ont marqué votre cœur ?

Evidemment plus de trois décennies de librairie laissent des traces. Des milliers d’ouvrages sont passés par mes mains, certains plus captivants que d’autres, mais l’esprit toujours à l’affût de quelques curiosités insolites. Je pourrais citer en exemple quelques pépites : l’Histoire de Flavius Josephe – chez Michel Brunet, 1646, 2 volumes in folio reliés veau d’époque et complet des onze gravures ; Elémens de la philosophie de Neuton, mis à la portée de tout le monde, par Voltaire – chez Ledet, 1738, complet en 8 volumes reliés veau d’époque, rare édition originale ; Dictionnaire raisonné universel d’histoire naturelle de Valmont de Bomare – chez Brunet, 1775 complet en 9 volumes reliés veau marbré ou Journal d’horticulture pratique par Scheidweiler – A Bruxelles, chez Parent, 1844, 14 volumes reliés, richement illustrés de 160 belles planches coloriées… Mais ne suffit-il pas parfois d’un coup de cœur ou s’exalte l’originalité pour s’émerveiller et ressentir cette envie profonde de posséder l’œuvre en question ? Cela m’est arrivé bien entendu, souvent en salle des ventes. Une anecdote. J’acquis sans réfléchir, la série complète de la collection « Le livre de demain » aux éditions Arthème Fayard. La célèbrecouverture tango, fleuron de ce grand éditeur reste inoubliable pour certains collectionneurs ! J’acquis sans réfléchir l’intégralité, soit les 235 titres, en parfait état, chose rare… Et puis me vint l’idée de raconter la vie de cette série et de mettre en valeur les magnifiques gravures sur bois signées par de prestigieux artistes… Un autre livre était né… Et puis il y a les impondérables. Ceux qui brûlent le cœur et dévorent l’esprit. Quand je tombai sur Sentiments limitrophes d’Alfred Perlès, édition originale numérotée, exemplaire dédicacé, avec une longue lettre manuscrite de l’auteur datée de mars 1935, je compris que j’avais là le fleuron d’une collection. L’auteur abordait avec nostalgie sa vie avec Henry Miller, leur rencontre, le Paris interlope, le boulevard Montparnasse, Anaïs Nin…. Tout était présent, bourré de mélancolie. Ces trois pages serrées témoignaient d’une profonde amitié. Une vie…

Website: http://bibliophileheurtebise.com

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